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-------Message original-------
De : palestine_en_marche
Date : 10/19/05 19:45:59
Sujet : le droit du plus fort
1
www.progresslaw.net
LE DROIT DU PLUS FORT :
QUAND LES ETATS-UNIS FONT LA LOI
EN BELGIQUE
Le chantage exercé par l’administration Bush à l’égard de la Belgique suite au dépôt
d’ une plainte du chef de crimes de guerre auprès des autorités judiciaires belges contre
le général Franks, commandant des troupes américaines en Irak
Par Jan FERMON avec la collaboration de Thomas MITEVOY 1
Avocats au barreau de Bruxelles (Belgique)
Membres de Progress Lawyers Network
Et avec la collaboration de
Nuri ALBALA
Avocat au barreau de Paris (France)
Contribution au Congrès de l’Association Internationale des Juristes Démocrates à
Paris du 7 au 11 juin 2005
Commission 1 : Charte des Nations Unies, relations internationales et institutions
internationales
1 Contact : jan.fermon@progresslaw.net et thomas.mitevoy@progresslaw.net
2 La plainte contre le général Franks :
Une mission médicale belge de l’organisation Médecine pour le Tiers Monde 2 s’est rendue en
Irak avant le début de l’invasion par les troupes américaines. Les médecins belges effectuaient
une mission d'observation et d'assistance médicale à Bagdad. Ces médecins étaient confrontés
tous les jours aux victimes de bombardements sur des objectifs civils. Les victimes, leurs
proches, les médecins irakiens confrontés à cette souffrance répétaient tous la même question:
comment obtenir réparation de cette injustice ? Est-il possible de saisir la Cour Pénale
Internationale ? Existe-t-il d’autres institutions capables de mener une enquête indépendante
concernant ces faits, voire de sanctionner ces comportements s’il s’avère qu’il s’agit bien de
crimes de guerre.
C’ est dans ce cadre que les avocats de Progress Lawyers Network ont été contactés par les
membres de la mission médicale.
La compétence de la Cour Pénale Internationale était exclue puisque les Etats Unis n'ont pas
ratifié son Statut. La seule voie à suivre était donc celle de la loi belge qui rendait les
juridictions belges compétentes pour réprimer des infractions graves au droit international
humanitaire3 tel que défini notamment par les 4 Conventions de Genève et les deux protocoles
additionnels. 4
Cette loi a été initialement adoptée en 1993 et ne visait que les crimes de guerre. La Belgique
se conformait ainsi à ses obligations contractées en vertu des Conventions de Genève.
Sur cette base, quatre génocidaires rwandais qui ont trouvé refuge en Belgique ont été jugés
en 2001 par une Cour d’Assises à Bruxelles pour crimes de guerre et non pour participation
au génocide.
En 1999, le champ d'application de la loi a été étendu à la répression du génocide et des
crimes contre l'humanité. 5
Le 14 mai 2003, une plainte a été déposée au nom de 17 victimes irakiennes et de deux
jordaniens contre le général Franks, le colonel Brian McCoy et des militaires américains non
identifiés à ce stade, pour crimes de guerre commis en Iraq pendant la récente guerre.
Les faits qui font l'objet de la plainte sont subdivisés en 5 catégories6.
Avant de les énumérer, il est important de spécifier qu'aucune des victimes mentionnées dans
la plainte ne peut être considérée comme un "dommage collatéral". Il s'agit de civils qui ont
été visés en tant que tels par des actions militaires. Il ne s'agit pas de personnes qui ont été prises
dans le feu dans le cadre d'hostilités entre troupes américaines et irakiennes. D'éminents
juristes comme l'ancien ministre de la Justice américain, Ramsey Clark, attirent l'attention sur
le fait que toutes les victimes de cette guerre sont illégitimes, même les militaires irakiens
2 http://www.m3m.be/
3
Loi relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire du 16.06.1993 ,
Moniteur Belge du 5.8.1993. Le texte de la loi et les différentes modifications peuvent être consultées à l’adresse
http://www.juridat.be/cgi_loi/legislation.pl .
4 Voir ci après pour un bref historique sur l’évolution de la loi et quelques réflexions critiques.
5 Loi du 10-02-1999 publié au Moniteur Belge le 23-03-1999
6 Le texte intégral de la plainte peut être consulté à l’adresse http://www.stopusa.be/franks/plainte_fr.htm . De la
documentation supplémentaire concernant les faits qui sont à la base de la plainte (notamment des images vidéo)
peut être consultée à http://www.indymedia.be/news/2003/05/63322.php .
3
puisque la guerre était illégale à la base. Mais la plainte déposée ne concerne donc que des
victimes civiles, visées en tant que telles. Il ne s’agit pas là du résultat d’une volonté de faire
le tri entre « bonnes » et « mauvaises » victimes mais bien de la manière dont les faits à la base
de la plainte avait été récoltés par la mission médicale qui n’était en contact presque
exclusivement qu’avec des victimes civiles.
Une première catégorie de faits concerne des bombardements et l'utilisation d'armes à feu
contre des objectifs civils. L’armée américaine a procédé à des bombardements sur des
objectifs civils qui n'étaient pas à proximité d'un objectif militaire. Le bombardement sur un
marché à Bagdad en était l'exemple le plus frappant. Un incident dénoncé dans la plainte
concerne un bombardement sur une habitation. Quelques minutes après avoir lâché la
première bombe qui avait détruit entièrement la maison et au moment où les gens du quartier
accouraient pour aider les personnes ensevelies, l'objectif a été "revisité" et bombardé une
deuxième fois provoquant de très graves pertes parmi les civils rassemblés.
Appartiennent également à cette catégorie les victimes de la "clean war" au moment où les
troupes américaines sont entrés dans Bagdad: les blindés ouvraient le feu sur tout ce qui
bougeait, "nettoyant" ainsi les rues avant le déploiement de l’infanterie.
Une deuxième catégorie d'incidents concerne l'utilisation de bombes et munitions à
fragmentation. Ces armes terribles ont été utilisées à une très large échelle. Une grande partie
des sous munitions n'explose pas et reste éparpillée sur le sol. Les sous munitions sont
souvent considérées par des enfants comme des jouets et explosent lorsqu'elles sont
ramassées. En réalité ces sous munitions se transforment en mines anti-personnelles. Ces
bombes à fragmentation ont été utilisées par les troupes américaines notamment à Hillah. Les
habitants de cette ville témoignent du fait que les munitions rebondissaient par terre et
entraient dans les maisons par les fenêtres et les portes.
Une troisième catégorie de faits concerne les assassinats de journalistes. Le 8 avril 2003, des
actions sont menées contre l'hôtel Palestine où résident des journalistes indépendants et le
bureau de la chaîne Al Jazeera. L'emplacement est bien connu des militaires américains. Il
sera bombardé par un avion "tankkiller" tuant un correspondant, Tariq Ayoub. Pour justifier
l' attaque contre l'hôtel Palestine, l’armée américaine va d'abord affirmer que des tirs étaient
partis de cet hôtel. Quand des images tournées par une chaîne de télévision française
viendront contredire cette version, la justification changera: des "jumelles ennemies" auraient
été observées 7
Une quatrième catégorie d'incidents sont particulièrement graves et concernent des attaques
contre du personnel et des infrastructures médicales. Les Etats Unis n'ont pas hésité à
bombarder à proximité immédiate d'hôpitaux. En outre, au moment où les troupes américaines
sont entrées à Bagdad, plusieurs incidents se sont produits au cours desquels des ambulances,
très clairement identifiables en tant que véhicules sanitaires, ont été la cible de tirs. Parmi les
plaignants de Bruxelles, un homme se trouvait dans une ambulance avec sa femme enceinte
sur le point d’accoucher. L'ambulance transportait également une deuxième femme enceinte
vers une maternité spécialisée. Elle a été criblée de balles par les troupes américaines.
L' homme est tombé de l'ambulance grièvement blessé aux jambes (qui ont d'ailleurs du être
7 voir notamment : Robert FISK, « Did the US Murder Journalists », 29 avril 2003, sur http :
//www.counterpunch.org, consulté le 9 mai 2003 ; Ciar BYRNE, « Spanish journalists snub Straw », The
Guardian, 9 avril 2003, consulté sur
http://media.guardian.co.uk/iraqandthemedia/story/0,12823,933188,00.html , le 9 mai 2003
4
amputées ultérieurement). L'ambulance a pris feu et les deux femmes enceintes ont été brûlées
vives. L'homme qui était par terre a tenté de faire signe aux troupes américaines et a essuyé un
nouveau tir dans la main. Deux autres incidents similaires font l'objet de la plainte. Le journal
Le Monde 8 a relaté comment le colonel des Marines Brian McCoy a justifié ces actions
devant ses hommes qui se plaignaient de devoir tirer sur des civils. Selon le Monde cet
officier a répondu que tout civil pouvait cacher un militaire et que des ambulances avaient
déjà été utilisées pour attaquer les américains, transformant ainsi tout civil en cible légitime.
La cinquième catégorie de faits concerne les pillages sous les yeux des troupes américaines.
L' exploitante d'un petit centre culturel qui a été dévasté sous les yeux des soldats américains a
également déposée plainte.
Le chantage exercé par l’administration Bush
Le dépôt de la plainte a été annoncé quelques jours auparavant et les menaces américaines ont
alors immédiatement commencé. Le porte parole du département d'Etat a menacé la Belgique
de "conséquences graves". Un membre du Congrès américain a aussitôt déposé un projet de
loi permettant au Président américain d'utiliser "tous les moyens" donc y compris des moyens
militaires pour libérer des citoyens américains qui seraient détenus en Belgique sur base de la
loi dite de compétence universelle. Certains pourraient penser que ce genre de proposition,
relève de la fantaisie et du folklore et n'a aucune chance d'aboutir. En réalité, la proposition du
député Ackermann est la copie conforme d'une loi déjà en vigueur autorisant le Président des
Etats Unis à attaquer les Pays-Bas si un citoyen américain était détenu par la Cour Pénale
Internationale. Certains ont même exigé que le gouvernement belge empêche le dépôt de la
plainte ne se souciant ainsi nullement du principe de la séparation des pouvoirs. Le principe
du « rule of force » était en marche.
Personne n'a contesté jusqu'à ce jour que ces faits documentés sur 60 pages dans la plainte,
constituent bien des violations graves du droit international humanitaire et plus précisément
des crimes de guerre.
Seul Donald Rumsfeld a prétendu que les accusations étaient « absurdes » 9. Le Washington
Times du 8 mai 2003, soit avant le dépôt de la plainte qui avait été annoncé comme imminent
par la presse Belge, écrit : « Le dossier a rendu Washington furieux. La Belgique a été
menacée de représailles diplomatiques si cette plainte va de l’avant. Une option est de retirer
le quartier général de l’Otan de la Belgique »
Le 8 mai 2003 également le sénateur Ackermann dépose un projet de loi calqué sur le « The
Hague Invasion Act » autorisant le Président américain d’utiliser tous les moyens (y compris
militaires) pour assister des citoyens américains qui seraient détenus par le TPI. Ackermann
propose un mécanisme similaire permettant d’envahir au besoin Bruxelles.
Puisque les Etats Unis ne reconnaissent pas la Cour Pénale Internationale et qu'il semble
évident que, dans le climat actuel, une enquête indépendante digne de ce nom par une autorité
américaine semble exclue, le seul mécanisme qui pouvait faire obstacle à l'impunité totale
était l'application de la loi belge, dite de compétence universelle.
8 Michel Guerrin “J’ai vu des marines américains tuer des civils”, Le Monde, 13 avril 2003
9 Le Soir du 13.06.2003
5
Dès que la plainte fut déposée, les autorités américaines se sont totalement déchaînées. Le
général Meyers a déclaré que, dans ces circonstances, les réunions de l'Otan ne pourraient
plus se tenir à Bruxelles.
D' autres ont déclaré que le certificat de sécurité serait retiré au port d'Anvers et que des
entreprises américaines quitteraient la Belgique. 10
Une certaine presse américaine a mené une véritable campagne haineuse envers la Belgique,
ce pays « insignifiant », « ridicule », de « mangeurs de chocolat », etc.
Malheureusement, le gouvernement belge a presque immédiatement cédé devant cette
pression. Par une décision parfaitement illégale - prise par un gouvernement démissionnaire
alors qu'il n'en avait pas le droit et après une consultation écrite des ministres, alors que la loi
prévoit une délibération en Conseil des Ministres - le gouvernement a donné le 20 mai
instruction au Ministre de la Justice de transmettre la plainte aux autorités américaines.
Le gouvernement belge n'a nullement vérifié si les deux conditions nécessaires à cette
décision - incrimination par la loi américaine des faits dénoncés et garanties d'un procès
équitable - étaient réunies.
En ce qui concerne le premier point, les Etats Unis se sont retirés des Protocoles additionnels
aux Conventions de Genève. Une partie de la plainte, plus particulièrement celle qui a trait
aux attaques contre du personnel et des installations sanitaires et médicales, était précisément
basée sur ces protocoles.
Quant à la question du caractère équitable du procès, il semblait totalement illusoire en
l' espèce compte tenu des interventions du pouvoir exécutif américain s'opposant à toute
enquête mais également vu la façon dont cette administration n'a pas hésité à violer le droit
international.
Le 12 juin 2003, Donald Rumsfeld a indiqué que la décision du gouvernement belge n'était
pas suffisante. Selon lui, seule l'abrogation totale de la loi pouvait éviter le déménagement de
l' Otan. 11 Il le répètera à de nombreuses reprises. 12
Le lendemain, le Premier Ministre belge annonce que la loi ne sera ni abrogée ni modifiée.
Mais le 18 juin 2003, le gouvernement annonce qu'il accordera l'immunité aux personnes
participant aux réunions de l'Otan ou de l'Union européenne. 13
Le 21 juin, le département d'Etat américain et l’ambassadeur américain à Bruxelles exigent
une fois de plus l'abrogation de la loi. 14
Le lendemain, les négociateurs des partis qui veulent constituer le nouveau gouvernement
cèdent une fois de plus devant la pression américaine et se mettent d'accord sur une nouvelle
10 Le Soir, 23.06.2003, Trois pressions pour une réforme
11 Le Soir 13.06.2003
12 International Herald Tribune 23 juin 2003, The New York Times 22 juin 2003
13 La Libre Belgique 19.06.2003
14 Le Soir, 23.06.2003, Trois pressions pour une réforme
6
modification de la loi. Une plainte sera uniquement recevable si la victime ou l'auteur vivent
en Belgique. 15
Un journal, Le Soir,16 annonce que les juristes du département d'Etat américain participent à
la rédaction du nouveau texte au moment où le Ministre des Affaires étrangères déclare à un
autre journal, la Libre Belgique , que "les américains ne font pas la loi en Belgique". 17
Le 7 juillet 2003, la Maison Blanche exige une fois de plus l'abrogation de la loi et, en outre,
fait savoir que le Ministre des Affaires étrangères ne peut pas être reconduit dans son poste.
Les autorités américaines ne font donc pas seulement la loi mais prétendent nommer et
destituer les ministres en Belgique.
Les partis qui forment le nouveau gouvernement plient une fois de plus devant le chantage.
La loi de 1993 sera tout simplement abrogée par la loi du 5 août 2003 18.
Dorénavant la répression des crimes de guerre sera intégré dans le Code Pénal. Mais surtout,
les nouveaux articles 6 et 10 du Titre Préliminaire du Code d’Instruction criminelle prévoient
que l’introduction d’une plainte en Belgique ne sera possible que dans deux cas : d’une part,
si l’auteur est belge ou réside en Belgique, d’autre part, si la victime est belge ou a sa
résidence en Belgique depuis plus de trois ans au moment des faits.
Réflexions sur l’évolution de la loi belge dite « de compétence universelle »
Comme il a été exposé ci-dessus, la loi réprimant les violations graves du droit international
humanitaire a été adoptée initialement en juin 1993.
Il n’est certainement pas exagéré de dire qu’à l’époque, la guerre en Yougoslavie avait
favorisé le climat dans lequel l’adoption d’une telle loi était devenu possible. La justice
internationale, la lutte contre l’impunité, voir le droit ou le devoir d’ingérence étaient des
concepts à la mode.
La Belgique a été fortement secouée par le génocide rwandais d’avril 1994. Non seulement le
Rwanda était une ancienne colonie, et le régime du président Habyarimana considéré comme
un allié proche mais en outre, des soldats et des coopérants belges avaient été massacrés
pendant le génocide.
Un certain nombre de personnes soupçonnées d’avoir été impliquées dans le génocide avaient
pu s’enfuir et se cachaient en Belgique. Ils avaient pu se soustraire à la justice en se cachant
avec l’aide de réseaux impliquant des forces politiques belges proches de l’ancien régime au
Rwanda ainsi qu’avec l’aide de certains secteurs de l’église.
15 La Libre Belgique 22.06.2003
16 Le Soir 24.06.2003 Washington n’a pas dit non
17 La Libre Belgique 24 juin 2003 p. 2 « Les Etats-Unis ne font pas notre loi »
18 Loi relative aux violations graves du droit international humanitaire du 5.8.2003, publié au Moniteur Belge le
7.8.2003, http://www.ejustice.just.fgov.be/doc/rech_f.htm .
7
Des plaintes ont été déposées contre certains génocidaires rwandais qui se cachaient en
Belgique. Notamment quatre personnes ont été jugées par la Cour d’assises de Bruxelles en
2001 et actuellement, deux autres accusés comparaissent devant cette même Cour. Le premier
auteur de la présente contribution a plaidé pour des victimes du génocide rwandais dans le
cadre du premier procès d’assises.
Le procès de 2001 avait déjà suscité à l’époque des questions légitimes concernant la loi dite
de compétence universelle. De quel droit un Tribunal belge jugeait-il des Rwandais pour des
crimes commis au Rwanda contre d’autres Rwandais et cela alors que la Belgique avait elle même,
lors de la colonisation, institutionnalisé la distinction raciste entre Hutu’s et Tutsi’s et,
de surcroît, avait soutenu presque jusqu’à la fin les responsables hutu’s qui ont organisé le
génocide ?
Mais d’autre part, les conditions étaient particulières. Le procès contre ces génocidaires
rwandais qui se cachaient en Belgique était nécessaire. Il était en effet indispensable de les
sanctionner pour leurs actes. Et faute de traité d’extradition entre la Belgique et le Rwanda et
devant l’impossibilité de traiter tous les dossiers devant le Tribunal International d’Arusha, les
juridictions belges étaient la seule possibilité d’éviter l’impunité.
A la fin du premier procès concernant le génocide au Rwanda et surtout suite au bon
déroulement de celui-ci une certaine euphorie régnait au sujet du principe de compétence
universelle.
La tentative d’application de la loi à l’encontre d’Augusto Pinochet n’a pas soulevé de
problèmes majeurs. Est-ce à cause du personnage, un homme du passé, ou à cause du fait que
l’ enjeu était peu important en Belgique, Pinochet étant déjà sous le coup d’une procédure en
Grande Bretagne (ou d’ailleurs l’affaire a fait beaucoup plus de remous) ?
Par contre, les difficultés ont vraiment commencé quand des victimes palestiniennes du
massacre des camps de Sabra et Chatila ont déposé une plainte contre le premier ministre
israélien Ariel Sharon, qui commandait les troupes israéliennes au moment de la guerre du
Liban.
C’ est à ce moment que les premières voix se sont élevées pour dénoncer ‘les abus’ de la loi de
1993.
Il est devenu clair que l’unanimité des ONG mais aussi de plusieurs forces politiques en
faveur de la loi cachaient des approches et des objectifs bien différents. Si les premiers
voulaient vraiment assurer qu’aucun criminel de guerre ne puisse bénéficier de l’impunité, les
seconds cherchaient un instrument au service de leur diplomatie. Pas question de s’attaquer
néanmoins aux « amis » surtout s’il s’agit d’amis puissants tels que les Etats-Unis ou Israël.
De manière générale, il fallait être très attentif au risque que cette loi ne devienne un
instrument diplomatique ne permettant de s’attaquer qu’aux « politiquement incorrects ».
L’ introduction de la plainte contre le général Franks a désorienté un certain nombre de
personnes dans les ONG’s. Le gouvernement belge a contribué à cette désorientation. En
effet, sans contester le contenu et les faits dénoncés dans la plainte, le gouvernement belge a
essentiellement insisté sur son prétendu « caractère abusif » ou « politique ». En braquant les
projecteurs sur son prétendu caractère abusif sans jamais aborder le fondement de la plainte,
8
certaines personnes au sein d’ONG’s ont été influencés par cette rhétorique ne permettant pas
un débat important sur les crimes dénoncés.
D’ autre part, l'application de la loi avait amené un certain nombre de problèmes d'ordre
juridique tels que la question de l'immunité accordée aux chefs d'Etat et aux ministres pendant
la durée de l'exercice de leur fonction. La Cour Internationale de Justice avait condamné la
Belgique pour avoir délivré un mandat d'arrêt contre un ministre congolais en exercice. 19
Les juridictions belges avaient également joué un rôle dans le rétrécissement du champ
d' application de la loi. La Cour d'Appel de Bruxelles avait estimé que la loi devait être lue
concomitamment avec une disposition du Code d'Instruction Criminelle qui précisait que la
Belgique, pour les crimes commis à l'étranger, n'était compétente qu'à condition que l'auteur
soit trouvé sur le sol belge. La jurisprudence n'était pas unanime sur ce point. Une proposition
de modification et de clarification de la loi a donc été déposée au parlement.
Alors que ce débat devait en principe aboutir à la réaffirmation du principe de la compétence
universelle, les opposants à la loi de 1993 se sont saisis des problèmes d'ordre diplomatique
qu' elle avait provoqués afin de la vider largement de son contenu.
Comme indiqué ci-dessus, le principal problème politique que la loi avait posé découlait de la
plainte déposée par des victimes du massacre de Sabra et Chatila contre Ariel Sharon et des
responsables militaires israéliens.
Mais ce sont finalement les pressions américaines qui feront basculer le débat. Le 18 mars
2003, des victimes de la première guerre du Golfe vont déposer plainte à Bruxelles contre les
dirigeants en place à l’époque. Il s'agit de proches de victimes du bombardement par les Etats-
Unis d'un abri civil à Bagdad en février 1991.
Dès ce moment, de très fortes pressions américaines sont exercées sur le gouvernement belge
pour modifier la loi.
Le débat au parlement fut vif, et la loi sera finalement modifiée le 23 avril 2003, dans la
précipitation la plus totale, et grâce à une majorité alternative incluant des partis de droite et le
parti fasciste Vlaams Blok 20. Outre le fait qu'un certain nombre de filtres ont été instaurés
pour permettre au parquet de faire obstacle à des plaintes manifestement irrecevables ou
manifestement non-fondées, le gouvernement s’est vu octroyer la possibilité d'intervenir dans
le processus judiciaire, de soustraire l'affaire aux juridictions belges et de la renvoyer aux
pays dont l'auteur présumé du crime est originaire. Deux conditions devaient néanmoins être
respectées: le pays vers lequel la plainte est renvoyée devait garantir un procès équitable et sa
législation devait réprimer les crimes dénoncés. Le gouvernement ne devait par contre pas
s' assurer du fait que les juridictions du pays vers lequel la plainte était renvoyée s'en saisissent
et poursuivent effectivement les faits en cause.
19 CIJ, AFFAIRE RELATIVE AU MANDAT D’ARRÊT DU 11 AVRIL 2000, (RÉPUBLIQUE
DÉMOCRATIQUE DU CONGO c. BELGIQUE), arrêt du 14 février 2002, http://www.icjcij.
org/cijwww/cdocket/cCOBE/ccobejudgment/ccobe_cjudgment_20020214.PDF
20 Loi modifiant la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international
humanitaire et l'article 144ter du Code judiciaire, 23 avril 2003, publiée au Moniteur belge le 7.5.2003.
9
Le Conseil d'Etat de Belgique avait très sévèrement critiqué ce mécanisme comme une
violation du principe de la séparation des pouvoirs qui ne pouvait conduire qu'à des
traitements discriminatoires puisque les plaignants verraient leur plainte aboutir ou non en
fonction de critères purement politiques et diplomatiques.
C’ est sous cette mouture de la loi que la plainte contre le Général Franks sera introduite.
Comme il a été exposé ci-dessus, le gouvernement fera une application strictement illégale
des nouvelles possibilités qui lui était offertes par la récente modification législative. En outre,
quand les autorités américaines estimeront que cela n’était pas suffisant, la loi sera abolie et
réduite à un instrument applicable que dans un nombre de cas très restreint. Par ailleurs, un
filtre politique a été instauré dans la mesure où le Procureur Fédéral est le seul à pouvoir
engager des poursuites et apprécie toute plainte qui lui serait adressée sans que cette décision
ne puisse faire l’objet d’un recours.
Les recours introduits devant les juridictions suprêmes belges
Sous le régime applicable au moment du dépôt de la plainte contre le Général Franks, le
gouvernement belge a décidé de soustraire la plainte au pouvoir judiciaire à peine quelques
jours après son dépôt. Il s’agissait d’une décision illégale pour de nombreuses raisons : pas de
motivation adéquate, prise par un gouvernement démissionnaire sans réunion du Conseil des
Ministres alors que cette formalité était prévue etc. Contre cette décision un recours a été
introduit auprès de la juridiction administrative suprême, le Conseil d’Etat. Par un arrêt du
26.7.2004, le Conseil d’Etat a estimé que ce recours n’était pas fondé en indiquant que seul le
pouvoir judiciaire était compétent en la matière. 21
Saisi par la plainte, le Procureur Fédéral a émis l’avis que la procédure devant lui était sans
objet suite à la décision du gouvernement de soustraire la plainte au pouvoir judiciaire belge
et de la communiquer aux autorités américaines. Cette décision du Procureur Fédéral a fait
l’ objet d’un appel devant la Cour d’Appel de Bruxelles. Cette possibilité de recours était
prévue à ce moment par la loi mais a été abolie ultérieurement quand le gouvernement a fait
abolir la loi de 1993. Au moment ou la Cour d’Appel a tranché, la possibilité de recours
n’ existait plus et la Cour a estimé, dans un arrêt du 23.9.2003, qu’elle ne pouvait donc plus se
prononcer.
Devant la Cour d’Appel, les plaignants avait essentiellement invoqué le principe du
« standstill », et cela tant en ce qui concerne la possibilité de se munir contre l’impunité pour
crimes de guerre qu’en ce qui concerne le déroulement de la procédure où ils étaient
désormais privés d’une possibilité d’appel devant un juge indépendant contre la décision du
Procureur Fédéral de poursuivre ou non dans ce genre de dossiers. 22
21 CONSEIL D'ETAT, SECTION D'ADMINISTRATION. Arrêt no 134.156 du 26 juillet 2004,
http://www.raadvstconsetat.
be/search97cgi/s97_cgi.exe?action=View&VdkVgwKey=d%3A%5Carrets%5C134000%5C100%5C13
4156%2Epdf&doctype=raw&Collection=Arrets&#xml=http://www.raadvstconsetat.
be/search97cgi/s97_cgi.exe?action=View&VdkVgwKey=d%3A%5Carrets%5C134000%5C100%5C13
4156%2Epdf&doctype=xml&Collection=Arrets&QueryZip=134%2E156&
22 Voir pour le texte complète des arguments développés devant la Cour d’Appel
http://www.stopusa.be/franks/franks.php?theme=Plaidoirie&langue=3&Id=22286
10
L’arrêt de la Cour d’Appel du 23.9.2003 a fait l’objet d’un recours devant la Cour de
Cassation laquelle par un arrêt du 14.1 2004 a estimé que le principe de standstill ne
s’ appliquait pas. 23
Les USA et le droit international : « the rule of force » appliqué à la Belgique.
« The rule of force » est le titre d'un excellent article de Jayson Lamchek, avocat philippin.
L' article ne traite pas de la guerre récente en Iraq24.
Il démontre par contre comment les Etats Unis ont instrumentalisé le droit international et
l' ONU pendant la première guerre d'Iraq, la guerre de Yougoslavie et celle d’Afghanistan
pour arriver à leurs fins.
L' interdiction de l'usage de la force, sauf en tout dernier recours ou en cas de légitime défense
pour repousser un agresseur, et le principe du multilatéralisme dans l'usage de la force,
principes essentiels de la légalité internationale tels qu’établis par la Charte des Nations Unies
ont été contournés à coups de résolutions volontairement ambiguës du Conseil de Sécurité, de
"sous-traitances" des actions militaires alors que la Charte des Nations Unies confie la
direction des opérations militaires autorisées par le Conseil de Sécurité au Comité d'état major
militaire multilatéral.
En outre, les Etats Unis n'ont pas hésité à "récompenser" les pays qui acceptaient de leur
donner carte blanche et de "punir" ceux qui exigeaient le respect de la légalité internationale.
Certains insistaient sur le fait que tous les moyens pacifiques de règlement des conflits
devaient être épuisés avant de recourir à la force. Pour avoir soutenu l'action militaire
américaine contre l'Iraq en 1991, l'Egypte a reçu un emprunt de 7 milliards de dollars, le
Yémen, qui avait voté contre la résolution 678 s'est vu supprimer une aide annuelle de 70
millions de dollars25.
Pendant toute cette période, et évidemment suite à la disparition de la situation bipolaire dans
le monde, nous avons assisté à une situation où les Etats Unis utilisaient leur position de force
pour obtenir de la part des Nations Unies une caution à leurs actions militaires dans le monde.
Ils ont utilisé la force économique et politique, le chantage et la corruption pour faire
cautionner a posteriori leur politique du fait accompli.
Mais il est tout aussi clair que pendant toute cette période, les Etats Unis cherchaient une
couverture "légale" pour leurs aventures militaires, parlant tantôt de "nouvel ordre mondial",
tantôt "d'intervention humanitaire" ou encore de « guerre contre le terrorisme ».
En Afghanistan, l'administration Bush a prétendu agir en application du principe de la
légitime défense alors que il n'était nullement prouvé que l'Etat afghan était impliqué dans les
attentats du 11 septembre.
23 Cass., 14.1.2004, 2ème chambre fr. , http://www.juridat.be/cgi_juris/jurf.pl
24 Jayson S. LAMCHEK, « Le règne de la force. Les stratégies « légales » de l’impérialisme américain et
la Charte des Nations unies », Etudes marxistes n° 62, date de publication: 2004-05-03, accessible sur le site
http://www.marx.be/FR/cgi/emall.php?action=get_doc&id=61&doc=286
25 Jayson S. LAMCHEK, op. cit.
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Cette instrumentalisation du droit international a mené à une érosion des fondements même de
la légalité internationale tels que définies par la Charte des Nations Unies, l'interdiction de
l' usage de la force entre états et le principe du caractère multilatéral de tout usage de la force
autorisé.
La coquille étant devenu vide, des voix se sont élevé aux Etats Unis pour balayer tout
simplement la légalité internationale. Ces voix ne sont nullement marginales et influencent de
manière décisive la politique de l'administration américaine. Les prisonniers de Guantanamo
se sont vus ôter leurs droits les plus élémentaires de tout prisonnier par la décision de
l' administration Bush de ne pas appliquer le droit international. Et si une partie de
l' administration a tenté d'obtenir une "couverture légale" pour la nouvelle guerre contre l'Iraq,
les néoconservateurs dans l'administration Bush se sont moqués de la légalité internationale
notamment en sabotant ouvertement les mécanismes mis en place pour régler le conflit par
des moyens pacifiques, tel que les inspections.
La seule chose qui semble actuellement intéresser l'administration Bush est de s'assurer tous
les moyens y compris par le chantage, la corruption et les menaces, de l'impunité totale pour
les actes commis au cours des aventures militaires. Les Etats-Unis ont non seulement refusé
de ratifier le Statut de la Cour Pénale Internationale mais concluent également des accords
avec un nombre maximal de pays qui garantissent qu'ils ne transféreront pas de citoyens
américains à cette Cour. Les pays récalcitrants sont punis par le retrait des aides militaires et
humanitaires.
Même s'il faut constater qu'il y a là une évolution, elle ne peut être qualifiée de rupture. En
réalité, la position actuelle n'est que la conséquence logique d'un processus d'érosion qui
devait inévitablement mener à la restauration dans les relations internationales de la
domination ouvertement assumée de la première puissance, de la restauration de la politique
basée sur la force, du "rule of force".
La polémique autour de la plainte déposée au nom de victimes de la guerre en Iraq contre des
militaires américains, notamment le commandant des troupes américaines, le général Franks,
et les pressions illégales et scandaleuses exercées par l’administration Bush à l’égard de la
Belgique sont la parfait illustration de cette évolution…
Bruxelles, mai 2005.
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WWW.PROGRESSLAW.NET
Qui sommes-nous ?
Progress Lawyers Network est un réseau regroupant des bureaux d'avocats progressistes de Bruxelles, Anvers et Gand depuis 2003.
Notre initiative s'adresse principalement aux avocats, juristes, étudiants, universitaires et défenseurs des droits de l'homme en
Belgique et à l'étranger.
Notre pratique professionnelle porte essentiellement sur quatre domaines: le droit social, le droit pénal, le droit des étrangers et le
droit familial. Aux cours des dernières années, des avocats de notre groupe ont notamment assuré la défense des travailleurs de la
Sabena et celle de nombreux syndicalistes licenciés.
Nous avons également introduit des procédures contre les livraisons d'armes belges au Népal et contre les transports d'armement vers
l'Irak. Nous avons aussi collaboré au dépôt de la proposition de loi de l'organisation Objectif pour les droits égaux des étrangers.
Pendant l'été 2003, une plainte a été déposée au nom de 17 victimes de guerre irakiennes contre le général américain Franks.
Pourquoi PLN?
En 2003, l'ONU a publié un rapport selon lequel dans les dix ans à venir, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté sans
disposer d'un accès à l'eau potable, va atteindre les deux milliards. Cela représente un tiers de la population mondiale. La pauvreté et
l'injustice ne font qu'augmenter. Les guerres amènent de plus en plus de personnes sur le chemin de l'exil.
Face à ce constat, on doit bien admettre que les décideurs consacrent plus d'efforts au développement de nouvelles législations
répressives qu'à la recherche de solutions constructives aux problèmes des gens. L'Europe forteresse se ferme de plus en plus aux
réfugiés. Des méthodes particulières d'enquête donnent encore davantage de pouvoir aux services de police.
La lutte contre le terrorisme est aussi utilisée pour criminaliser ceux qui militent pour un changement de société. Les droits des
travailleurs, de ceux et celles qui vivent d'allocations sociales sont régulièrement diminués. De plus en plus de personnes deviennent
victimes d'un système dont le moteur principal est le profit.
Notre objectif est d'assurer la meilleure défense possible de ceux qui sont victimes de la société actuelle et de ceux qui souhaitent la
changer.
Que défendons-nous ?
PLN s'oppose aux atteintes aux droits fondamentaux au niveau national, européen et international. Nous soutenons entre autres
l'organisation des Legal Teams pour garantir les droits des manifestants.
PLN consacre une attention spéciale à la défense des droits sociaux et syndicaux.
PLN défend le droit d'action et d'organisation de tous les mouvements qui luttent contre l'injustice et l'oppression.
PLN soutient les avancées progressistes du droit des gens et du droit humanitaire international. Nous défendons la souveraineté des
Etats et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et de leurs ressources naturelles.
PLN se bat contre le racisme, pour les droits égaux des étrangers et réfugiés.
PLN s'engage pour l'indépendance de l'avocat et le respect des droits de la défense.
PLN défend une conception sociale du métier d'avocat: la justice doit être accessible à chacun par le développement d'un système
national d'assistance juridique.
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Notre méthode ?
Nous sommes conscients que la défense des intérêts de nos clients dépasse souvent une approche purement juridique. C'est pourquoi
nous tentons de coupler la défense individuelle à l'amélioration des droits de groupes plus larges.
Les connaissances et le savoir-faire que nous acquérons en défendant des cas individuels, doivent pouvoir être mis au service du plus
grand nombre.
Contact :
Bruxelles :
Jan FERMON - Ivo FLACHET - Joke CALLEWAERT - Thomas MITEVOY - Selma BENKHELIFA - Mathieu BEYS - Axel
BERNARD
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fax 32.2.215.80.20
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Gand
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