-------- Message original --------
Sujet: | Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987 |
---|---|
De: | linala@club-internet.fr |
Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987 Par Hannah G., L'Événement, Ouagadougou, 29 mai 2007 En apparence le Burkina Faso est un pays africain tout à fait normal? C'est-à-dire que sa population y est normalement misérable et affamée, sa classe bourgeoise normalement méprisante et corrompue, ses centaines d'ONG normalement actives. Les séminaires, colloques, sommets et symposiums de lutte contre la pauvreté et contre la désertification y font normalement salle comble, à la satisfaction des restaurateurs et hôteliers cinq étoiles ... La Banque mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI), l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) veillent avec diligence et discrétion à maintenir le pays dans les fers du néocolonialisme. Quant au Président, démocratiquement élu et nommé à vie par une astuce électorale, il donne du travail à bon nombre de ses sujets en les invitant à construire palais et villas somptueux qui constitueront, selon ses propres termes, l'orgueil du patrimoine national? Enfin-pompier pyromane-il ne désespère pas d'obtenir un jour le prix Nobel de la Paix. Pourtant, ce pays en cache un autre. Un pays englouti, disparu, enfoui depuis vingt ans sous les sables d'une mémoire interdite, mais dont on entend encore battre le coeur lorsqu'on prête attention. Un pays qui porte le plus beau nom qu'une nation puisse porter : " Pays des hommes intègres " et qu'on n'a pas osé débaptiser, nom qui résonne aujourd'hui comme le vestige d'une civilisation disparue. Ce pays de rêve est venu à l'existence par l'amour et la foi d'un homme visionnaire : Thomas SANKARA. Aujourd'hui, la jeunesse africaine, née après son assassinat, en a fait un " CHE Guévara africain ", un héros quasi légendaire, sans toujours percevoir la grandeur réelle de l'homme.Vingt ans : une génération? une éternité. Ne serait-il pas temps de lever l'interdit de mémoire qui pèse sur Thomas Sankara ? On a coutume de comparer Thomas Sankara à une comète, pour exprimer l'étonnement suscité par la luminosité et la brièveté de son passage. Lorsque la comète a disparu et que la nuit est retombée, le témoin ébloui se frotte les yeux et se demande s'il n'a pas été victime d'une hallucination? Est-ce bien arrivé ? A-t-il vraiment vécu ces quatre années prodigieuses qui portaient en elles la semence d'une civilisation nouvelle, à la fois universelle et tellement singulière ? A-t-il vraiment vécu ces quatre années qui jetaient les bases d'une Afrique "battante" et fraternelle, enfin affranchie du regard de l'oppresseur ? Une Afrique digne et frugale qui allait montrer le chemin aux autres peuples. Ou bien ce rêveur naïf a-t-il été puni de s'être mis en tête qu'il allait pouvoir échapper à son destin d'esclave, destin concocté par les puissances impérialistes de mèche avec les forces négatives de certaines traditions dévoyées ? Prenons un exemple concret : si l'on considère les nombreuses exactions commises par les CDR sous la Révolution , faut-il en conclure qu'elles signaient l'échec cuisant d'une aventure irresponsable ou bien préférera-t-on penser qu'il s'agissait-il d'un problème à résoudre, comme toute entreprise innovante est vouée à en rencontrer ? Se tromper de réponse, c'est choisir le malheur. Le visiteur étranger curieux de comprendre le pays qui l'accueille découvre avec surprise que malgré les années écoulées, Thomas Sankara reste plus que jamais l'âme secrète du Burkina Fasoâ€? jusque dans les sphères du pouvoir !Mais alors, jusqu'à quand allons-nous perpétuer le non-dit, l'autocensure ? le secret de famille ? Faudra-t-il attendre l'extinction-naturelle (?!)- de tous les acteurs du drame pour qu'enfin soit reconnue à Thomas Sankara sa place éminente dans l'Histoire de l'Afrique ? Particulièrement en sa qualité de précurseur du mouvement " altermondialiste " ? Le génie se joue du temps... Un des plus grands poètes français, Arthur Rimbaud, a écrit toute son oeuvre entre 17 et 20 ans, soit pendant une période de seulement quatre années ! Un siècle et demi plus tard, il reste l'auteur favori de nombreux étudiants, et la source permanente de nouvelles thèses en littérature. De même, lorsque des proches du Général De Gaulle lui suggérèrent de faire incarcérer le philosophe Jean Paul Sartre pour qu'il cessât de critiquer son gouvernement, De Gaulle répondit : "On n'enferme pas Voltaire ! ". C'était sa manière à lui, de signifier que le génie de certains hommes impose le respect, malgré les ennuis qu'ils leur causent. La grandeur de De Gaulle, en l'occurrence, était de reconnaître celle de ses adversaires. Songeons aussi qu'une voix puissante triomphe toujours de la répression. Ainsi celui qui a écrit :"l'Oeil était dans la tombe et regardait Caïn !" Victor Hugo, l'auteur des "Misérables" (un roman presque autant traduit dans le monde que la Bible) était et reste un poète très populaire en France, connu pour sa véhémente dénonciation des injustices sociales de son époque. Napoléon III, que Hugo appelait "Napoléon le Petit", ne supporta pas ses attaques, et Victor Hugo dut s'exiler. Aujourd'hui l'oeuvre de Victor Hugo est universellement étudiée et elle fait la fierté des Français la fierté de tous les Français, qu'ils soient "de droite" ou "de gauche". De même, il serait souhaitable que les Burkinabè - tous les Burkinabè - prennent conscience qu'ils ont l'immense honneur que soit né parmi eux un homme d'une stature exceptionnelle, tant par sa parole, que par ses actes et sa pensée. Il serait bon que les responsables politiques du pays prennent conscience qu'en censurant l'oeuvre de Thomas Sankara, ils portent gravement atteinte aux Burkinabè : malgré leur légendaire endurance, ceux-ci ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes. A la faim et à la maladie qui les touchent dans leur corps s'ajoute la démoralisation : pour quelques sous, un T-shirt ou un sac de riz, certains se prostituent et bourrent les urnes en rigolant : " de toutes les façons, plus rien n'a de sens ! ". Le peuple est mutilé, paralysé, lobotomisé. En l'amputant de la plus belle page de son histoire, on lui a volé son âme. Mais les dirigeants qui ne respectent pas leur peuple se perdent avec lui. Quelque soit leurs gris-gris et leurs fétiches, ils ne sont plus que des zombis au service de leurs maîtres occidentaux, des détourneurs-professionnels-de-fonds-d'aide-au-développement, qui finiront mal comme Paul Wolfovitz, récemment chassé pour corruption de la Présidence de la Banque Mondiale. Personne ne sort indemne du meurtre de la mémoire. Il n'y a pas de gagnants dans cette affaire. L'accumulation de richesses - le plus souvent fort mal acquises - n'est qu'une consolation dérisoire pour l'homme qui a sacrifié sa dignité en acceptant de se taire et de fermer les yeux. Quelque soit son cynisme ( et parfois même sa rage !) les " sucreries " de toutes sortes qu'il amoncelle, bijoux, villas, BMWs, médailles du mérite nationale sont impuissantes à supprimer l'humiliation d'avoir trahi, menti et de se trouver pris dans un piège sans issue. Le luxe exhibé ne sert qu'à donner le change, qu'à s'étourdir pour cacher sa honte, à soi-même et aux autres. En réalité, le citoyen qui parade dans un 4 x 4 dernier modèle, aux chromes rutilants et aux vitres fumées, alors que le peuple agonise sous le poids d'une misère indicible, n'est qu'un mort-vivant qui se laisse trimballer dans son corbillard : il est déconnecté du réel. Il peut faire du bruit, s'agiter, aller de cocktail en cocktail, de défilé de mannequins en défilé de mannequins, de piscine en piscine, d'adultère en adultère : sa solitude est plus vertigineuse que celle du mendiant de la rue. Et s'il suscite malgré tout admiration et envie sur son passage, cela montre dans quel abîme de désespoir la population s'enfonce : trop nombreux sont ceux qui devant l'impunité des crimes ne croient plus qu'en la puissance du Mal ...D'où la sorcellerie, les mixtures infâmes, les dépeçages humains dans l'espoir de s'enrichir pour faire semblant d'exister. Par contre, restituer au peuple l'oeuvre de Thomas Sankara afin qu'il l'étudie, la médite et en tire des leçons saines et vivifiantes, semble la seule voie de rédemption possible pour les autorités, le seul chemin pour sortir le Burkina Faso de la malédiction. Il faut que cessent les menaces de mort sur les artistes, les journalistes, les enseignants, il faut que cesse de part et d'autre le cercle vicieux de la peur.Le véritable patrimoine du Burkina Faso n'est pas inscrit dans la pierre, ce n'est ni l'hôtel "Libya", ni la "tour eiffel" tronquée de la place des martyrs, ni le Palais Kossiam - particulièrement disgracieux - ni l'Avenue N'Kwame Khrumah, de plus en plus mal fréquentée. le véritable patrimoine du Burkina Faso, pour les siècles des siècles, qu'on le veuille ou non, c'est ce jeune capitaine Thomas Sankara scintillant d'intelligence et rayonnant de générosité, mort prématurément au moment même où il s'apprêtait à donner un second souffle à son pays. Il ne s'agit pas de crier vengeance. Le mal est fait. Il s'agit de se tourner vers l'avenir pour rendre l'espoir à la jeunesse burkinabè. Et à la jeunesse de l'Afrique toute entière qui ne demande qu'à se rassembler. Il faut souligner en effet l'admirable ténacité avec laquelle de nombreux jeunes font face à l'adversité : je pense notamment à ces étudiants si courageux qui manquent de tout, d'essence, de nourriture, de logement. Leur alimentation insuffisante menace leur santé, car les sociétés qui gèrent les restaurants universitaires traitent les étudiant moins bien que des animaux. Les sanitaires sont vétustes, souvent condamnés, les amphis pleins à craquer, et partout il faut faire des queues interminables sous le soleil. Réussir des examens dans des conditions aussi absolument déplorables relève de l'exploit. Beaucoup s'accrochent, mais beaucoup aussi n'en peuvent plus que du mépris dont ils sont l'objet et sont prêts à tout pour quitter cet enfer. L'Afrique si riche pourtant en ressources matérielles et humaines perd ses forces vives comme par une plaie béante : pendant de longs siècles, c'était la contrainte de l'esclavage qui causait le départ des jeunes, aujourd'hui, c'est volontairement qu'ils s'exilent au péril de leur vie. Comment arrêter cette hémorragie ? La révolution sankariste a-t-elle été un dernier sursaut avant une défaite programmée, ou bien au contraire le premier rayon de lumière d'un continent désemparé ? Confrontée à la situation actuelle du monde, l'oeuvre de Thomas Sankara est à reconsidérer aujourd'hui sous un éclairage nouveau. En effet, Thomas Sankara voyait loin. D'où son impatience. Peut-être était-il trop en avance sur son temps pour réussir à faire partager ses convictions à certains de ses compagnons obstinément rivés à leurs dogmes ou fatigués de ne jamais porter à leurs lèvres une coupe de champagne.Le mur de Berlin n'était pas encore tombé, la mondialisation n'était pas une préoccupation majeure, le réchauffement de la planète n'inquiétait encore personne. On manquait de recul. Thomas Sankara, pourtant, prévoyait ce qui allait arriver, les génocides, les famines, les épidémies engendrés par la recherche du seul profit maximal. Aussi voulait-il faire du petit Burkina Faso un chantier exemplaire pour l'avenir des hommes. Bien avant Nicolas Sarkozy, il nomma des femmes à des postes importants, bien avant Nicolas Hulot, il plaça l'écologie en tête de ses priorités. Ses ambitieux projets hydrauliques et forestiers méritaient de voir le jour, ils auraient sans doute changé le paysage sahélien. Il fut le premier à encourager un commerce équitable et un développement durable fondés sur le respect des populations. Face à l'hypertrophie et à la mégalomanie des puissances impérialistes et des multinationales, il fut le premier à refuser de payer " La Dette " dont il dénonça le caractère pervers. Aujourd'hui, la dette des pays pauvres a pris de telles proportions astronomiques qu'elle interdit tout développement économique et rend fictive l'indépendance des Etats. Thomas Sankara avait pris toute la mesure du problème et comptait bien affranchir l'Afrique de cette nouvelle colonisation. Dans tous les domaines, il débordait de projets plus prometteurs les uns que les autres. Aujourd'hui, le paysage a changé, le monde a rétréci, l'angoisse se généralise. L'exploitation forcenée des ressources naturelles par de nouvelles grandes puissances menace l'avenir de la planète. Tout peut basculer. Les océans se vident, des espèces disparaissent, les forêts reculent, les glaciers fondent. Partout les conflits armés font rage. Quant à l'Afrique, elle semble subir avec fatalisme les conséquences tragiques de ce désordre mondial tous azimuts. Alors NON ! Thomas Sankara n'était pas un illuminé tyrannique égaré dans son splendide isolement, sourd aux conseils de ses proches. Au contraire, c'était un esprit curieux qui ne cessait d'être à l'écoute du monde, à l'écoute de tous ceux qui pouvaient lui apporter des connaissances nouvelles. A l'écoute aussi des plus humbles. La preuve ? Nous avons sous nos yeux l'exemple du Président vénézuélien Hugo Chavez, qui lui aussi passait pour un illuminé : ce courageux chef d'Etat est en train d'unir les peuples d'Amérique latine pour mieux tenir tête aux Etats-Unis, et il propose des initiatives que Thomas Sankara n'aurait pas désavoué. Au Nicaragua, le retour au pouvoir de Daniel Ortéga, ami de Sankara, va dans le même sens, celui de combattre un certain " réalisme " qui n'est qu'une forme de pétainisme, c'est-à-dire de collaboration avec l'ennemi. Si le CHE est mort, ces hommes-là, qui constituent la relève, sont bien vivants.Alors OUI ! Vingt ans après, la pensée de Thomas Sankara peut enfin être revisitée, elle peut commencer à rayonner, à fructifier et à enthousiasmer la jeunesse africaine. Avec Thomas Sankara, avec les organisations de la société civile, avec les mouvements de jeunes, avec les artistes engagés: " Osons inventer l'avenir "... Cette devise qui sonne comme le testament de Thomas Sankara montre qu'un véritable patrimoine prend racine dans l'Avenir, et non dans un cimetière. Source : http://www.evenement-bf.net/pages/tribune_116.htm -- Envoyé par Basta ! dans Basta ! le 6/07/2007 12:18:00 PM