mardi 3 août 2004

Histoire : le 10 novembre 1918, les soldats alsaciens proclament le soviet à Strasbourg

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Le 10 novembre 1918, les soldats alsaciens proclament le soviet à Strasbourg 
  
 
11 novembre 1918: le drapeau rouge flotte sur Strasbourg et l'Alsace proclame la République des soviets...                        

Un grand reportage de Didier Daeninckx
Paris, vendredi 10 novembre 2000
 Un jour, venant de Strasbourg où j'étais allé repéré les décors d'une nouvelle, je me suis arrêté devant la plaque d'une importante voie de la capitale alsacienne, la "rue du 22 novembre". Je ne saurais dire pourquoi cette dénomination avait attiré mon attention, mais j'avais demandé à un passant à quel événement elle faisait référence. "A la Libération, en 1944", m'avait-il répondu. Un simple coup d'oeil sur un livre d'histoire régionale m'apprit que les troupes du général Leclerc avaient fait leur entrée fulgurante dans Strasbourg le 23. La plaque émaillée bleu comportait une grossière coquille historique, ou alors elle commémorait un autre fait marquant. Un ami alsacien émit l'hypothèse que ce 22 novembre avait à voir avec l'armistice de1918. Je lui rétorquai que dans ce cas, l'erreur ne portait plus sur une journée mais sur onze, la fin des hostilités ayant eu lieu le 11 novembre à midi. Une visite dans les archives de la bibliothèque nationale et universitaire, place de la République, l'ancienne Kaiserplatz, me donna la surprenante solution: Strasbourg avait bien été libérée le 22 novembre 1918, mais pas de l'armée allemande! Les troupes françaises avaient mis fin à un soviet de soldats, d'ouvriers, de paysans... Une telle affirmation demande à être étayée, et il faut revenir à la fin du mois d'octobre de cette année-là pour y voir plus clair. L'Allemagne impériale a perdu la guerre, mais quelques généraux ultras, dont Ludendorff veulent tenter un baroud d'honneur en prenant appui sur la puissante flotte de guerre. La troupe refuse de marcher. A Kiel, sur la Baltique, les marins se mutinent et se constituent en Soviet (voir le document). Les syndicats ouvriers les rejoignent, et des détachements d'insurgés, drapeaux rouges en tête, se rendent dans les villes voisines pour gagner les habitants à leur cause. Une quinzaine de milliers d'Alsaciens et de Lorrains sont alors incorporés dans la Kriegsmarine, et nombre d'entre eux participent à ces événements. Certains décident de soulever leurs deux provinces natales soumises à une véritable disette, et qui sont agitées de forts mouvements de mécontentement. Le 8 novembre, la population de Strasbourg apprend la proclamation de la République des conseils de Bavière. Le lendemain, des milliers de manifestants envahissent la place Kléber pour acclamer les premiers détachements de marins arrivés du nord de l'Allemagne. Des dizaines d'officiers sont dégradés en public. Un train d'insurgés est bloqué au pont de Kehl, et un commandant loyaliste fait ouvrir le feu. Le soldat Fir est abattu. Ses camarades prennent le contrôle de la ville jumelle de Strasbourg, de l'autre côté du Rhin, puis traversent le fleuve. La bourgeoisie allemande de Strasbourg ne cesse de faire appel aux troupes françaises, afin de mettre un terme aux troubles. Un slogan court les quartiers bourgeois: "Plutôt Français que rouges!".
Les marins révolutionnaires alsaciens se forment en Conseil de soldats de Strasbourg (voir le document), et exigent du gouverneur Von Rohden la libération des détenus, la liberté de presse et d'expression, la levée de la censure sur le courrier, le droit de manifester. Les prisons ouvrent leurs portes, les Conseils se rendent maîtres des bâtiments publics et toutes les marques d'autorité comme les insignes, les grades sont supprimées. La ville se hérisse de drapeaux rouges dont l'un va même flotter sur la flèche de la cathédrale!
Toutes les forces sociales tentent de s'assurer le contrôle du mouvement en se fondant dans le Conseil des ouvriers et soldats (voir le document) présidé par le secrétaire du syndicat des ouvriers brasseurs, Rebholz qui annonce l'abdication de Guillaume II, à Berlin, et proclame l'avénement d'un pouvoir populaire. Les murs de la ville se couvrent d'affiches "Nous n'avons rien de commun avec les États capitalistes, notre mot d'ordre est: ni Allemands ni Français ni neutres. Le drapeau rouge a triomphé". Une trentaine de commissions organisent la vie quotidienne : transports, finances, ravitaillement, démobilisation, justice... Des grèves radicales éclatent, comme celle des cheminots. Le dirigeant social-démocrate strasbourgeois Jacques Peirotes fait appel au Grand Quartier Général français et demande aux généraux de "hâter leur entrée à Strasbourg, la domination des rouges menaçant de prendre une fin tragique". L'entrée dans la ville était prévue pour le 25, mais son appel est entendu. Les troupes marchent sans relâche et pénètrent dans les faubourgs le 22 novembre 1918. Le Conseil des ouvriers et soldats déclare qu'il "a rempli sa mission, même si, compte tenu des circonstances, il n'a pu réaliser son idéal politique". Il décide de remettre l'autorité militaire entre les mains du commandement français. Le général Gouraud fera savoir qu'il ne reconnaît ni le Soviet des ouvriers et soldats, ni aucune des mesures qu'il a édictées. Le 22 novembre, le premier acte symbolique de l'armée française sera d'occuper le Palais de justice où siégeait le "Soviet de Strasbourg". La troupe s'empare des usines, les décrets sociaux sont annulés, les salaires ramenés à leur niveau de septembre 1918, les "agitateurs" sont expulsés. On choisit les sous-préfets parmi les officiers, des commissions de contrôle de la population, présidées par un officier du 2e Bureau sont mises en place.
Il en sera de même dans toutes les villes des deux provinces perdues en 1870. Car le Soviet de Strasbourg n'a pas été une création unique: le premier Conseil a vu le jour à Haguenau, le 9 novembre suivi dans la soirée par Mulhouse. A Saverne les soldats se mutinent, comme à Sélestat. A Colmar le Conseil siège à la mairie, et le futur Feldmaréchal Rommel viendra s'y plaindre des vexations dont sont victime ses officiers! Partout sur le front des Vosges on fraternise, on manifeste, drapeaux rouges en tête. En Lorraine, les nombreux immigrés italiens se joignent au mouvement. A Metz, le Conseil siège à l'hôtel de ville sur lequel flotte un drapeau turc dont on a passé le croissant au minium... Des Conseils prennent les usines en charge, on occupe les mines, comme à Knutange. A Algrange, Hagondange, Rombas, les grèves éclatent. A Thionville c'est un acteur, Seelow, qui dirige le conseil, un aumônier militaire à Sarrebourg, un pasteur à Neuf-Brisach...
Un jour que j'évoquais cette épopée et le nom de cette ville de garnison, Neuf- Brisach, mon ami Rémy Fisch, délégué mineur des potasses d'Alsace, m'a interrompu.
- Neuf-Brisach! Maintenant, je comprends mieux ce que me racontait mon père... Il nous disait des choses bizarres, lors des banquets familiaux, mais tout le monde se moquait de lui... Il parlait des soviets et chantait une chanson, "Hop là", en faisant valser les chapeaux, les casquettes...
Je l'ai suivi à Soultz, sur laquelle veille la masse imposante des collines du Vieil Armand et il m'a traduit les paroles de Joseph Fisch (voir le document) qui, toute sa vie, ne s'est exprimé qu'en alsacien et en allemand:

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