samedi 5 avril 2008

1 Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987



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Sujet: Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987
De: linala@club-internet.fr


Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987 Par Hannah G., L'Événement, Ouagadougou, 29 mai 2007   En apparence le Burkina Faso est un pays africain tout à fait  normal? C'est-à-dire que sa population y est normalement  misérable et affamée, sa classe bourgeoise normalement méprisante  et corrompue, ses centaines d'ONG normalement actives. Les  séminaires, colloques, sommets et symposiums de lutte contre la  pauvreté et contre la désertification y font normalement salle  comble, à la satisfaction des restaurateurs et hôteliers cinq étoiles ...  La Banque mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI),  l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) veillent avec diligence  et discrétion à maintenir le pays dans les fers du néocolonialisme.  Quant au Président, démocratiquement élu et nommé à vie par une  astuce électorale, il donne du travail à bon nombre de ses sujets en  les invitant à construire palais et villas somptueux qui constitueront,  selon ses propres termes, l'orgueil du patrimoine  national? Enfin-pompier pyromane-il ne désespère pas d'obtenir  un jour le prix Nobel de la Paix. Pourtant, ce pays en cache un autre. Un pays englouti, disparu, enfoui depuis vingt ans sous les sables  d'une mémoire interdite, mais dont on entend encore battre le coeur  lorsqu'on prête attention. Un pays qui porte le plus beau nom qu'une  nation puisse porter : " Pays des hommes intègres " et qu'on n'a pas  osé débaptiser,  nom qui résonne aujourd'hui comme le vestige  d'une civilisation disparue. Ce pays de rêve est venu à l'existence  par l'amour et la foi d'un homme visionnaire : Thomas SANKARA.  Aujourd'hui, la jeunesse africaine, née après son assassinat, en a  fait un " CHE Guévara africain ", un héros quasi légendaire, sans  toujours percevoir la grandeur réelle de l'homme.Vingt ans : une  génération? une éternité. Ne serait-il pas temps de lever l'interdit  de mémoire qui pèse sur Thomas Sankara ?  On a coutume de comparer Thomas Sankara à une comète, pour  exprimer l'étonnement suscité par la luminosité et la brièveté de son  passage. Lorsque la comète a disparu et que la nuit est retombée, le  témoin ébloui se frotte les yeux et se demande s'il n'a pas été  victime d'une hallucination? Est-ce bien arrivé ? A-t-il vraiment vécu  ces quatre années prodigieuses qui portaient en elles la semence  d'une civilisation nouvelle, à la fois universelle et tellement singulière  ? A-t-il vraiment vécu ces quatre années qui jetaient les bases d'une  Afrique "battante" et fraternelle, enfin affranchie du regard de  l'oppresseur ? Une Afrique digne et frugale qui allait montrer le  chemin aux autres peuples. Ou bien ce rêveur naïf a-t-il été puni de  s'être mis en tête qu'il allait pouvoir échapper à son destin d'esclave,  destin concocté par les puissances impérialistes de mèche avec les  forces négatives de certaines traditions dévoyées ? Prenons un exemple concret : si l'on considère les nombreuses  exactions commises par les CDR sous la Révolution , faut-il en  conclure qu'elles signaient l'échec cuisant d'une aventure  irresponsable  ou bien préférera-t-on penser qu'il s'agissait-il d'un  problème à résoudre, comme toute entreprise innovante est vouée à  en rencontrer ?  Se tromper de réponse, c'est choisir le malheur.  Le visiteur étranger curieux de comprendre le pays qui l'accueille  découvre avec surprise que malgré les années écoulées, Thomas  Sankara reste plus que jamais l'âme secrète du Burkina Fasoâ€?  jusque dans les sphères du pouvoir !Mais alors, jusqu'à quand  allons-nous perpétuer le non-dit, l'autocensure ? le secret de famille  ? Faudra-t-il attendre l'extinction-naturelle (?!)- de tous les acteurs du  drame pour qu'enfin soit reconnue à Thomas Sankara sa place  éminente dans l'Histoire de l'Afrique ? Particulièrement en sa qualité  de précurseur du mouvement " altermondialiste " ?  Le génie se joue du temps...  Un des plus grands poètes français, Arthur Rimbaud, a écrit toute  son oeuvre entre 17 et 20 ans, soit pendant une période de  seulement quatre années ! Un siècle et demi plus tard, il reste  l'auteur favori de nombreux étudiants, et la source permanente de  nouvelles thèses en littérature. De même, lorsque des proches du  Général De Gaulle lui suggérèrent de faire incarcérer le philosophe  Jean Paul Sartre pour qu'il cessât de critiquer son gouvernement, De  Gaulle répondit : "On n'enferme pas Voltaire ! ". C'était sa manière à  lui, de signifier que le génie de certains hommes impose le respect,  malgré les ennuis qu'ils leur causent. La grandeur de De Gaulle, en l'occurrence, était de reconnaître celle  de ses adversaires. Songeons aussi qu'une voix puissante triomphe toujours de la  répression. Ainsi celui qui a écrit :"l'Oeil était dans la tombe et  regardait Caïn !" Victor Hugo, l'auteur des "Misérables" (un roman presque autant  traduit dans le monde que la Bible) était et reste un poète très  populaire en France, connu pour sa véhémente dénonciation des  injustices sociales de son époque. Napoléon III, que Hugo appelait  "Napoléon le Petit", ne supporta pas ses attaques, et Victor Hugo  dut s'exiler. Aujourd'hui l'oeuvre de Victor Hugo est universellement  étudiée et elle fait la fierté des Français la fierté de tous les Français,  qu'ils soient "de droite" ou "de gauche". De même, il serait  souhaitable que les Burkinabè - tous les Burkinabè - prennent  conscience qu'ils ont l'immense honneur que soit né parmi eux un  homme d'une stature exceptionnelle, tant par sa parole, que par ses  actes et sa pensée. Il serait bon que les responsables politiques du  pays prennent conscience qu'en censurant l'oeuvre de Thomas  Sankara, ils portent gravement atteinte aux Burkinabè : malgré leur  légendaire endurance, ceux-ci ne sont plus que l'ombre  d'eux-mêmes.  A la faim et à la maladie qui les touchent dans leur corps s'ajoute la  démoralisation : pour quelques sous, un T-shirt ou un sac de riz,  certains se prostituent et bourrent les urnes en rigolant : " de toutes  les façons, plus rien n'a de sens ! ". Le peuple est mutilé, paralysé,  lobotomisé. En l'amputant de la plus belle page de son histoire, on  lui a volé son âme. Mais les dirigeants qui ne respectent pas leur  peuple se perdent avec lui. Quelque soit leurs gris-gris et leurs  fétiches, ils ne sont plus que des zombis au service de leurs maîtres  occidentaux, des  détourneurs-professionnels-de-fonds-d'aide-au-développement,  qui finiront mal comme Paul Wolfovitz, récemment chassé pour  corruption de la Présidence de la Banque Mondiale. Personne ne sort indemne du meurtre de la mémoire. Il n'y a pas de  gagnants dans cette affaire. L'accumulation de richesses - le plus souvent fort mal acquises -  n'est qu'une consolation dérisoire pour l'homme qui a sacrifié sa  dignité en acceptant de se taire et de fermer les yeux. Quelque soit  son cynisme ( et parfois même sa rage !) les " sucreries " de toutes  sortes qu'il amoncelle, bijoux, villas, BMWs, médailles du mérite  nationale sont impuissantes à supprimer l'humiliation d'avoir trahi,  menti et de se trouver pris dans un piège sans issue. Le luxe exhibé  ne sert qu'à donner le change, qu'à s'étourdir pour cacher sa honte,  à soi-même et aux autres.  En réalité, le citoyen qui parade dans un 4 x 4 dernier modèle, aux  chromes rutilants et aux vitres fumées, alors que le peuple agonise  sous le poids d'une misère indicible, n'est qu'un mort-vivant qui se  laisse trimballer dans son corbillard : il est déconnecté du réel. Il  peut faire du bruit, s'agiter, aller de cocktail en cocktail, de défilé de  mannequins en défilé de mannequins, de piscine en piscine,  d'adultère en adultère : sa solitude est plus vertigineuse que celle  du mendiant de la rue. Et s'il suscite malgré tout admiration et envie sur son passage, cela  montre dans quel abîme de désespoir la population s'enfonce : trop  nombreux sont ceux qui devant l'impunité des crimes ne croient plus  qu'en la puissance du Mal ...D'où la sorcellerie, les mixtures infâmes,  les dépeçages humains dans l'espoir de s'enrichir pour faire  semblant d'exister. Par contre, restituer au peuple l'oeuvre de Thomas Sankara afin qu'il  l'étudie, la médite et en tire des leçons saines et vivifiantes, semble  la seule voie de rédemption possible pour les autorités, le seul  chemin pour sortir le Burkina Faso de la malédiction. Il faut que  cessent les menaces de mort sur les artistes, les journalistes, les  enseignants, il faut que cesse de part et d'autre le cercle vicieux de  la peur.Le véritable patrimoine du Burkina Faso n'est pas inscrit dans  la pierre, ce n'est ni l'hôtel "Libya", ni la "tour eiffel" tronquée de la  place des martyrs, ni le Palais Kossiam - particulièrement disgracieux  - ni l'Avenue N'Kwame Khrumah, de plus en plus mal fréquentée.  le véritable patrimoine du Burkina Faso, pour les siècles des siècles,  qu'on le veuille ou non, c'est ce jeune capitaine Thomas Sankara  scintillant d'intelligence et rayonnant de générosité, mort  prématurément au moment même où il s'apprêtait à donner un  second souffle à son pays. Il ne s'agit pas de crier vengeance. Le mal est fait. Il s'agit de se  tourner vers l'avenir pour rendre l'espoir à la jeunesse burkinabè. Et  à la jeunesse de l'Afrique toute entière qui ne demande qu'à se  rassembler. Il faut souligner en effet l'admirable ténacité avec laquelle de  nombreux jeunes font face à l'adversité : je pense notamment à ces  étudiants si courageux qui manquent de tout, d'essence, de  nourriture, de logement. Leur alimentation insuffisante menace leur  santé, car les sociétés qui gèrent les restaurants universitaires  traitent les étudiant moins bien que des animaux. Les sanitaires  sont vétustes, souvent condamnés, les amphis pleins à craquer, et  partout il faut faire des queues interminables sous le soleil. Réussir  des examens dans des conditions aussi absolument déplorables  relève de l'exploit. Beaucoup s'accrochent, mais beaucoup aussi n'en  peuvent plus que du mépris dont ils sont l'objet et sont prêts à tout pour  quitter cet enfer. L'Afrique si riche pourtant en ressources matérielles et humaines  perd ses forces vives comme par une plaie béante : pendant de  longs siècles, c'était la contrainte de l'esclavage qui causait le départ  des jeunes, aujourd'hui, c'est volontairement qu'ils s'exilent au péril  de leur vie. Comment arrêter cette hémorragie ?  La révolution sankariste a-t-elle été un dernier sursaut avant une  défaite programmée, ou bien au contraire le premier rayon de  lumière d'un continent désemparé ? Confrontée à la situation  actuelle du monde, l'oeuvre de Thomas Sankara est à reconsidérer  aujourd'hui sous un éclairage nouveau.  En effet, Thomas Sankara voyait loin. D'où son impatience. Peut-être  était-il trop en avance sur son temps pour réussir à faire partager  ses convictions à certains de ses compagnons obstinément rivés à  leurs dogmes ou fatigués de ne jamais porter à leurs lèvres une  coupe de champagne.Le mur de Berlin n'était pas encore tombé, la  mondialisation n'était pas une préoccupation majeure, le  réchauffement de la planète n'inquiétait encore personne. On  manquait de recul. Thomas Sankara, pourtant, prévoyait ce qui allait arriver, les  génocides, les famines, les épidémies engendrés par la recherche du  seul profit maximal. Aussi voulait-il faire du petit Burkina Faso un  chantier exemplaire pour l'avenir des hommes.   Bien avant Nicolas Sarkozy, il nomma des femmes à des postes  importants, bien avant Nicolas Hulot, il plaça l'écologie en tête de ses  priorités. Ses ambitieux projets hydrauliques et forestiers méritaient  de voir le jour, ils auraient sans doute changé le paysage sahélien. Il  fut le premier à encourager un commerce équitable et un  développement durable fondés sur le respect des populations. Face  à l'hypertrophie et à la mégalomanie des puissances impérialistes et  des multinationales, il fut le premier à refuser de payer " La Dette "  dont il dénonça le caractère pervers. Aujourd'hui, la dette des pays  pauvres a pris de telles proportions astronomiques qu'elle interdit  tout développement économique et rend fictive l'indépendance des  Etats. Thomas Sankara avait pris toute la mesure du problème et  comptait bien affranchir l'Afrique de cette nouvelle colonisation. Dans  tous les domaines, il débordait de projets plus prometteurs les uns  que les autres.   Aujourd'hui, le paysage a changé, le monde a rétréci, l'angoisse se  généralise. L'exploitation forcenée des ressources naturelles par de  nouvelles grandes puissances menace l'avenir de la planète. Tout  peut basculer. Les océans se vident, des espèces disparaissent, les  forêts reculent, les glaciers fondent. Partout les conflits armés font  rage. Quant à l'Afrique, elle semble subir avec fatalisme les  conséquences tragiques de ce désordre mondial tous azimuts.   Alors NON ! Thomas Sankara n'était pas un illuminé tyrannique égaré  dans son splendide isolement, sourd aux conseils de ses proches. Au  contraire, c'était un esprit curieux qui ne cessait d'être à l'écoute du  monde, à l'écoute de tous ceux qui pouvaient lui apporter des  connaissances nouvelles. A l'écoute aussi des plus humbles.   La preuve ? Nous avons sous nos yeux l'exemple du Président  vénézuélien Hugo Chavez, qui lui aussi passait pour un illuminé : ce  courageux chef d'Etat est en train d'unir les peuples d'Amérique  latine pour mieux tenir tête aux Etats-Unis, et il propose des  initiatives que Thomas Sankara n'aurait pas désavoué.   Au Nicaragua, le retour au pouvoir de Daniel Ortéga, ami de  Sankara, va dans le même sens, celui de combattre un certain "  réalisme " qui n'est qu'une forme de pétainisme, c'est-à-dire de  collaboration avec l'ennemi. Si le CHE est mort, ces hommes-là, qui  constituent la relève, sont bien vivants.Alors OUI ! Vingt ans après,  la pensée de Thomas Sankara peut enfin être revisitée, elle peut  commencer à rayonner, à fructifier et à enthousiasmer la jeunesse  africaine.   Avec Thomas Sankara, avec les organisations de la société civile,  avec les mouvements de jeunes, avec les artistes engagés: "  Osons inventer l'avenir "... Cette devise qui sonne comme le  testament de Thomas Sankara montre qu'un véritable patrimoine  prend racine dans l'Avenir, et non dans un cimetière.  Source :  http://www.evenement-bf.net/pages/tribune_116.htm   -- Envoyé par Basta ! dans Basta ! le 6/07/2007 12:18:00 PM