dimanche 27 avril 2008

Scénario de l'affrontement stratégique sur la scène asiatique Guy Spitaels

Pour ceux qui ne le connaissent pas: Guy Spitaels fut en Belgique Président du Parti "socialiste" francophone ...
RoRo

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Sujet: Scénario de l'affrontement stratégique sur la scène asiatique Guy Spitaels
Date: Fri, 25 Apr 2008 16:42:06 +0200
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Extrait du livre Chine USA la guerre aura-t-elle lieu? Guy Spitaels (2007)

Livre à lire absolument



Scénario de l'affrontement stratégique sur la scène asiatique


2. LE TIBET, RÉGION AUTONOME
L’éloignement, le relief et la différence culturelle font du Tibet un monde à part.
Peuplant naturellement la « région autonome du Tibet », les Tibétains sont aussi présents dans les provinces voisines, notamment dans l’ouest du Sichuan et du Qinghai. Nombre de livres et de rapports parlent de 14 millions d’habitants, soit 6 millions de Tibétains et 8 millions deHans. En fait, il s’agit là du «Grand Tibet », ce qu’on appelle aussi le « Tibet historique », tel qu’il fut conquis au xIIIe siècle par les Mongols.

Pour la région autonome du Tibet qui nous occupe ici, la population s’élève à 2,6 millions d’habitants, soit une augmentation de 1,6 million depuis 1950, dans un espace qui demeure de très basse intensité de peuplement au monde, soit 2 habitants au km2. Dans cette population, les Tibétains sont 92 % et les Hans 6 %. Situation donc radicalement différente de celle du Xinjiang, où les Hans et les Ouïgours font à peu près jeu égal.
Au début du xxe siècle, les serfs et les esclaves représentaient 95 % de la population tibétaine, la quasi—totalité de la population était analphabète et l’espérance de vie de 35 ans. Cette dernière s’élève aujourd’hui à 65 ans.
La politique de l’enfant unique est appliquée à la population Han mais pas aux Tibétains. Aussi le taux de natalité excède-t-il 23 %o et le taux de croissance de la population est—il de 15 %o.
A la fin des années 1990, 72 % des cadres travaillant au Tibet étaient des Tibétains ethniques.
Dans le gouvernement et l’Assemblée exprimant l’autonomie régionale, la majorité des membres sont tibétains—ethniques : 82 % à l’Assemblée populaire de la région, 92 % au niveau des comtés et 94 % pour les organes locaux. Ajoutons que la région autonome dispose naturellement d’un système d’éducation laïque.
Après avoir visité le Tibet, en octobre 2006, Philippe Paquet, spécialiste de la Chine à La Libre Belgique, donnait une appréciation me semble-t-il analogue à la mienne. « Depuis la fondation de la région autonome en 1965, le PIB régional a été multiplié par vingt j...] Près de 44 000 km de routes ont été réalisés j...] Quelque 1300 cliniques et hôpitaux ont été construits [...1 Quelque 87 % des enfants en âge d’école sont scolarisés et grâce à la création d’un enseignement pour adultes, le taux d’alphabétisation de ceux-ci a été porté de 15 % en 1987 à plus de 70 % aujourd’hui. L’université du Tibet accueille à Lhassa 10 000 étudiants, dont plusieurs dizaines d’aspirants tibétologues.Tout cela au prix d’investissements massifs du gouvernement central de Pékin près de huit milliards de yuan pour la seule décennie 1994-2004. »

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Cela étant, parcourons l’histoire du Tibet pour en retenir quelques points de repère.
Depuis la dynastie des Yuan (127 1-1368), le Tibet fait partie de la Chine. En 1271, les conquérants mongols, après avoir défait les Song, s’instituèrent en effet comme dynastie des Huan. Le gouvernement central inclut alors le Tibet dans une unité administrative sous son contrôle direct. Quinze postes d’étapes furent établis entre le Tibet et la capitale Dadu (le Pékin d’aujourd’hui).
Avec la naissance de la dynastie des Ming, en 1368, des titres princiers furent attribués aux responsables religieux. Le dalaï—lama payait tribut à la cour des Ming qui avaient tout en même temps établi des garnisons dans les parties centrale et occidentale du Tibet pour des raisons militaires et politiques. La succession du souverain spirituel et temporel était soumise à l’approbation de l’empereur de Chine.
Puis, en 1644, arrivèrent les Qing qui accrurent leur contrôle sur le Tibet et développèrent son cadre légal.
« A partir de 1751, le contrôle de la Chine sur le Tibet deviendra définitif et ne cessera guère depuis cette date. » Voilà le jugement d’importance du maître incontesté des études chinoises en France, Jacques Gernet, dont nous se saurions trop recommander la lecture du livre, Le Monde chinois.
En 1793, la dynastie se chargea avec les autorités tibétaines de la protection des frontières, des relations avec le monde extérieur, desressources fiscales, du pouvoir monétaire et du soutien aux monastères.
En 1890, les Anglais signèrent avec Pékin des accords appelés à réglementer les questions afférentes au commerce et à la circulation au Tibet comme en Birmanie.
En 1904, les Britanniques forcèrent la route vers Lhassa. Mais, deux ans plus tard, ils conclurent un traité avec la Chine par lequel, soucieux d’occuper au Tibet des positions commerciales, ils renonçaient à toute annexion de territoire de même qu’à toute interférence dans l’administration.
En 1907, Londres et Moscou adoptèrent une convention dont l’article 2 prévoyait que « se conformant au principe admis de la suzeraineté de la Chine sur le Tibet, la Grande—Bretagne et la Russie s’engagent à ne traiter avec le Tibet que par l’entremise du gouvernement chinois » (La nouvelle histoire du Tibet). En 1908, l’Empire mandchou plaça la région sous son administration directe.
Après la révolution de 1911, le gouvernement de la République maintint sa juridiction sur le Tibet, comme l’avaient fait les trois dernières dynasties. Telle n’est pas la lecture de l’histoire que donnent les exilés tibétains qui considèrent les décennies qui suivirent comme la dernière période d’indépendance de leur pays. Toutefois, aucun Etat n’accorda la reconnaissance diplomatique au Tibet et celui-ci reconnut bien la souveraineté chinoise en envoyant des délégués successivement au comité de rédaction d’une nouvelle Constitution de la République de Chine en 1925, à l’Assemblée nationale en 1931, au 4~ congrès du Kuomintang en 1931, et à l’Assemblée nationale en 1946 et en 1948 pour rédiger une nouvelle Constitution.
Parallèlement, le gouvernement nationaliste avait institué une commission pour les affaires tibétaines et mongoles qui contrôlait l’administration des territoires habités par ces minorités et en 1940, il l’avait localisée à Lhassa.
Après la fondation de la RPC, l’armée populaire entra au Tibet en 1950, absorba les forces armées tibétaines tandis qu’un traité était signé à Pékin, le 23 mai 1951 avec une délégation tibétaine conduite par le dixième panchen-lama, second leader spirituel par ordre d’importance.

En 1954, le 14e dalaï-lama fut élu vice-président du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire.
A la fin de la guerre de Corée en 1953, Pékin craignait surtout que les efforts diplomatiques des Tibétains et des soulèvements n’aboutissent à une implication politique et militaire américaine. Les Etats-Unis n’invitaient—ils pas à répétition le chef d’Etat tibétain?
En 1956, éclata une rébellion armée que la République populaire réprima sévèrement. Après le bombardement des monastères de Chatreng et Litang et les nouveaux bombardements de Lhassa (1959), les victimes se comptèrent par milliers pour d’aucuns, par dizaines de milliers pour d’autres. Le Premier ministre Tchou En-Lai donna ordre de dissoudre le gouvernement régional en 1959 et la Région autonome fut officiellement créée en 1965.
En juin 1958, avait commencé l’aventure de la résistance tibétaine. L’ANVD reçut d’abord l’aide de Chiang Kai-Shek et puis celle de Washington sous Eisenhower.
Sept cents Tibétains furent recrutés et transférés aux Etats—Unis pour leur formation. En 1959, des armes, du matériel puis des résistants furent largués sur le Tibet. En 1960, on compta quarante-deux largages de quatre cents tonnes d’armes et de nouveaux résistants (Gilles Van Grasdorfi). Pendant ce temps, un U2 de la CIA photographiait chacune des zones. En 1965, semblable opération se poursuivait encore.

Exfiltré dès mars 1959, par un agent de la CIA, Anthony Posaepny, le dalaï—lama s’enfuit en Inde et installa à Dharamsala un gouvernement en exil. Celui-ci revendiqua la souveraineté sur le « Tibet historique », bien qu’antérieurement il n’avait gouverné que sur la moitié de ce territoire.
Telle est l’origine de la popularité de la cause tibétaine aux Etats— Unis comme en Europe. Tintin au Tibet, paru cette année-là, ne fut jamais qu’une des illustrations occidento—centristes de Hergé, primé quarante-cinq ans plus tard par l’International Campaign of Tibet.
Pour en revenir au déroulement des événements, au cours de la Revolution culturelle, les gardes rouges demohrent un grand nombre de monastères tibétains et la répression menée par l’armée chinoise fit un nombre de victimes très élevé.
Trois résolutions de l’Onu reconnurent le droit des Tibétains à l’autodeterrmnation qui resterent naturellement sans aucune suite
Après le voyage de Kissinger et de Nixon à Pékin, le dalaï-lama savait -que le Tibet ne comptait plus guère. Il envoya pour la première foi un représentant en Chine en 1979, à qui Deng Xiaoping fit entendre très clairement que le problème essentiel était que le dalaï—lama reconnaisse le Tibet comme partie inséparable~ de la Chine. Les envoyés ce dernier, dont son propre frère Gyalo Thondup, retournèrent en Chine a plusieurs repnses Des rounds de negociation se deroulèrent aussi à Berne.
Au début des années 1980, à Lhassa, Hu Yao Bang, le numéro un chinois à l’époque, s’excusa en public des erreurs du passé et des souffrances inifigées au peuple tibétain
Le tibétain fut proclamé langue officielle de la Région autonome. Il semblait que le dalaï-lama avait abandonné son appel à l’indépendance et se centrait sur l’autonomie à l’intérieur de l’espace chinois. En 1989, il obtint le prix Nobel de la paix tandis qu’au cours de ces années, sur le terrain, des bouffées de révolte antichinoises étaient réprimées sévèrement par Hu Jintao, alors secrétaire du PC de la République autonome et que la loi martiale était proclamés.
En revanche, en 2001, une grande conférence gouvernementale fut réunie pour protéger et valoriser la culture tibétaine. Par ailleurs, à la même époque, à la mort du Panchen Lama (secte des «bonnets jaunes)>), les dignitaires religieux sélectionnèrent sa réincarnation et obtinrent l’approbation du Dalaï-lama; le gouvernement conteste ce choix au motif que la procédure de sélection n’avait pas été effectuée correctement; une nouvelle sélection aboutit à la désignation d’un autre Panchen Lama qui réside à Gyantse.
Le dalaï-lama annonça alors que son successeur serait élu démocratiquement.
La Constitution dont s’est doté le gouvernement en exil, prévoit au demeurant que la fonction peut être abolie par une majorité de deux tiers à l’Assemblée qu’élisent les 100 000 réfugiés.
En décembre 2004, le Parlement européen demandait aux autorités chinoises «de mettre fin à la campagne d’éradication patriotique menée depuis octobre » par laquelle les Tibétains étaient contraints, affirmait-il, de signer des déclarations dénonçant le dalaï—lama comme. dangereux séparatiste. Le Parlement requérait aussi que «les autorités chinoises re1~chent les moines tibétains détenus et suspendent l’isolement du monastère de Drepung à Lhassa ».
Autre sensibilité, l’Inde, en signant le partenariat stratégique avec la Chine en avril 2005, réaffirmait qu’elle reconnaissait la région autonome du Tibet comme faisant partie du territoire chinois mais surtout qu’elle ne permettait pas aux Tibétains réfugiés en Inde de se livrer à des activités antichinoises.
En septembre 2006, le Parlement européen se disait toujours «profondément préoccupé par les rapports récents faisant état de la persistance de violations graves des droits de l’homme dans les régions tibétaines de la Chine, notamment des tortures, arrestations et détentions arbitraires, assignation à résidence, surveillance extrajudiciaire de dissidents, détentions sans jugement, répression de la liberté religieuse et restrictions arbitraires à la libre circulation ».
Visant aussi les campagnes « d’éducation politique » menées depuis l’été de 2005, il se préoccupait notamment de l’arrestation de moines du monastère de Drepung que refusait de dénoncer le dalaï-lama.
Au cours de l’année 2006, The Independent (Londres) croyait savoir que le dalaï—lama, âgé de 70 ans, était sur le point d’effectuer une visite en Chine et d’initier un processus de réconciliation.
On se permettra d’en douter. Le dalaï-lama n’avait-il pas déclaré en novembre 2005 que le niveau d’autonomie du Tibet devait être plus large que pour Hong Kong, Macao ou Taïwan, alors que le gouvernement chinois dans son Livre blanc de décembre 2004 avait affirmé que, tout au contraire des trois territoires cités, il ne pouvait s’agir de réintroduire au Tibet un autre système social.
Porte fermée donc à 1~» administration temporelle religieuse » comme le prévoit le projet de Constitution du dalaï-lama, comme à un «Tibet zone de paix » sans déploiement de troupes, comme il demanda à un professeur de Hong Kong d’en rédiger le projet, et bien entendu davantage encore à un Tibet libéré de la présence des Hans.
Quoi qu’il en soit, en juin 2006 le dalaï-lama s’exprima au Sportpaleis d’Anvers devant une dizaine de milliers de sympathisants, audience dont les hommes politiques occidentaux n’osent plus rêver, même en période électorale.
A cette époque, interrogé par Paula Escobar pour Le Soir, il déclarait curieusement: « La situation du Tibet n’est pas mon échec personnel mais celui des generations qui m’ont precede Elles se sont montrees totalement negligentes Elles n ont pas porte suffisamment d’attention à l’évolution du monde. » Appréciation étonnante qui n’est guère différente du jugement que porte Pékin sur les gouvernements passéistes du Tibet.
Et comment ne pas la faire sienne après la lecture de La Nouvelle Histoire du Tibet, (Perrin, octobre 2006) dont l’auteur, Gifles VanGrasdorff, paraît tout sauf un affidé de Pékin?
Que d’opposition de l’aristocratie conservatrice et des dignitaires religieux aux progressistes de l’armée, que de rivalités entre le panchen— I lama voulant ses propres troupes et le dalaï-lama, que de disputes autour des enfants élus, réincarnation de l’ancien maître, que d’intrigues continues, d’incarcérations et d’empoisonnements, de lamas brigands qui exécutent les pères des missions étrangères! Pour ne rien dire des « chefs de tribus qui préfèrent assister sans réagir, voire participer aux exactions commises contre leurs compatriotes par les soldats de l’APL ou police secrète contre de fortes sommes d’argent». Ou encore de la Révolution culturelle, mouvement de masse, sujet épineux au Tibet où « beaucoup ont effectivement détruit les édifices religieux, dénoncé leurs amis et leurs voisins comme réactionnaires ».
Et ce serait ce Tibet, témoignage d’un autre âge, qui serait l’objet d’une nostalgie respectueuse de l’Occident.
Par ailleurs, on peut aussi s’étonner de l’accueil que des personnalités politiques de premier rang dans nos pays réservent parfois au dalaï-lama. Sont-elles bien informées de l’irréalisme de ses prises de positions actuelles et de la perception de jeu trouble ressentie par les autorités chinoises?
En août 2006, c’était cette fois, à l’autre bout du monde, à OulanBator, au nord de la Chine que le dalaï-lama prenait la parole devant plusieurs milliers de personnes: aussitôt, Pékin irrité annulait les vols d’Air China avec la capitale mongole.

En septembre, le président Bush donnait son feu vert au projet des parlementaires américains d’octroyer la médaille d’or, plus haute distinction du Congrès, au leader spirituel et temporel tibétain.

D’un poids beaucoup plus impressionnant me paraissait à l’époque l’arrivée à Lhassa du train « le plus haut du monde » reliant la capitale de la région autonome du Tibet à Pékin, projet de Deng Xiaoping, entamé par Jiang Zemin et terminé par l’ingénieur Hu Jintao, qui fut secrétaire du PC au Tibet. D’une importance en effet primordiale à la fois touristique, politique et stratégique pour l’avenir de la région.